L'ENTREPRISE EN 2050, VUE PAR YANNICK ROUDAUT

Soumis par teclib le
L'ENTREPRISE EN 2050, VUE PAR YANNICK ROUDAUT

Chroniqueur, conférencier, auteur, co-dirigeant du cabinet Alternité et des Editions La Mer Salée, Yannick Roudaut évoque sa vision de l’entreprise et des managers du futur. Une plongée rafraîchissante et ambitieuse, tant la tâche à accomplir est aussi gigantesque qu’elle est enthousiasmante !

 

Après 20 années passées dans le monde de la finance (BFM, Bloomberg TV, Le Figaro, Le Monde), Yannick a pris un virage personnel et professionnel dans les années 2004-2007 pour se consacrer aux modèles économiques soutenables et alternatifs.
Conférencier, expert APM, GERME, vacataire aux Ponts et Chaussées, ESEO, Université de Nantes, il a publié l’Alter Entreprise en 2007 (Dunod) puis La Nouvelle Controverse en 2013 (La Mer Salée) et Zéro Pollution en 2016 (La Mer Salée).

« L’entreprise de 2050 sera contributive »

 

Pourquoi faut-il dès aujourd’hui réfléchir à ce que sera l’entreprise de 2050 ?
Parce que notre monde et son économie vont connaître des bouleversements tels que toutes les entreprises doivent s’y préparer dès maintenant si elles veulent tout simplement survivre dans le futur !

 

Quels sont ces bouleversements ?
Ils sont de deux ordres. Le fait majeur, c’est la fin annoncée de nos ressources fossiles, dont l’exploitation fonde cette « société de consommation » issue de l’après-guerre, gourmande de biens à l’obsolescence programmée, qui reste le modèle économique dominant actuel des sociétés dites « développées ! ». Il faudrait 5 planètes Terre pour que chacun des 7 milliards d’habitants qui la peuple consomme autant qu’un citoyen américain. C’est impossible ! Or en 2050 la Terre comptera près de 10 milliards d’habitants ! Qui plus est, ce modèle génère des effets collatéraux dévastateurs : inégalités et injustices sociales multiples, pollutions, dérèglements climatiques, atteintes à la biodiversité animale et végétale, etc. L’autre bouleversement, c’est bien évidemment l’émergence des technologies digitales et de l’intelligence artificielle qui dessinent un monde hyperconnecté. Cette société du lien nous permettra de partager plus et donc de ne plus « travailler », dans le sens que nous donnons communément à ce mot aujourd’hui.

 

Mais encore ?
Travailler pour « gagner sa vie », faire dépendre sa subsistance d’un travail ne sera plus d'actualité en 2050 ! Cela n’aura plus de sens. Nous devons ralentir notre rythme de vie pour des raisons écologiques et de survie de l’humanité, alors que dans le même temps, l’IA va supprimer quantité d’emplois. Selon le MIT, 47 % des emplois actuels pourraient ne plus exister d’ici 20 ans.
L’automatisation des tâches génèrerait seulement un emploi nouveau pour deux supprimés. Cela arrive d’ailleurs au moment où les jeunes générations ne veulent plus gâcher leur vie à la gagner… Une forme de revenu universel devra alors, dans un cadre de répartition des richesses plus équitable, permettre à chacun de vivre décemment. Débarrassés de cette contrainte financière, nous pourrons nous tourner vers des activités contribuant à la préservation de la nature, du vivant, et au bien-être de l’individu, au sein d’une économie circulaire, du partage et de la collaboration, tournée vers l’usage et non plus vers la propriété. Nous devons tenter d’aller vers une frugalité joyeuse ou une sobriété heureuse, pour reprendre l’expression de l’agro-écologiste Pierre Rabhi.

 

N’est-ce pas là une vision idyllique ?
C’est au contraire la seule vision réaliste, et elle commence déjà à s’incarner dans les comportements des Millenials. Prenez l’exemple de l’automobile, objet emblématique de la société de consommation, elle ne fait plus rêver les jeunes ! La mobilité douce, le vélo, les modes de partage, Autolib ou Blablacar, se développent. Pour un trentenaire, il est plus gratifiant et valorisant d’avoir une influence sur les réseaux sociaux qu’une grosse voiture, accessoirement polluante et utilisée par une seule personne ! Nos enfants nous dirons  « mais comment pouviez vous perdre autant de temps de vie à consommer des produits polluants, et à passer des heures
dans les bouchons ? »

 

Dès lors, quels seront les objectifs de l’entreprise de 2050 ?
Finie la course effrénée aux seuls profits ! L’entreprise devra retrouver le sens initial des mots bénéfice - qui vient du latin « beneficio » ; ce qui fait du bien – et économie : du grec ancien « oïkonomia », la gestion de la maison. Or notre seule maison à tous, c’est cette planète !
L’entreprise de 2050 sera éco-citoyenne, actrice d’une économie soutenable, circulaire, au service de la collectivité, préservant le vivant, respectant l’environnement. Elle contribuera au patrimoine commun, et au bien être des individus qui composent la société. Elle sera contributive.

 

Comment fonctionnera-t-elle ?
L’entreprise ne sera sans doute plus une entité physique mais un projet partagé. Le sens donné à son action sera le nouveau ciment liant ses collaborateurs et ses partenaires. Elle fonctionnera en éco-système, agrégeant des intelligences qui pourront se trouver partout dans le monde, grâce aux possibilités de communication et de collaboration qu’offrent les outils digitaux. Elle produira
au plus près de ses clients des produits et services qu’elle aura éco-conçu avec eux. Le bio-mimétisme sera la règle. L’homme s’inspirera de la nature plutôt que de la détruire !

 

Cette entreprise du futur existe-t-elle déjà ?
Des entrepreneurs visionnaires ont pris dès la fin du siècle dernier le virage de l’entreprise durable. Il y a 25 ans, Ray Anderson, le fondateur d’Interface, premier fabricant de moquette dans le monde, a lancé le projet « Mission Zéro », visant à éliminer tout impact négatif de son entreprise sur l'environnement d'ici 2020. Ce n’était pas une mission impossible. L’entreprise engrange de réels résultats et s’améliore sans cesse. Elle recycle en fibres de moquette des filets de pêche et son système de pose, sans colle, s’inspire du formidable pouvoir adhésif des pattes du gecko ! En France, une entreprise comme 1083, qui vend directement au consommateur des chaussures et des jeans en coton biologique, fabriqués en France à Romans-sur-Isère, montre la voie également. Les initiatives vertueuses se multiplient.

 

Et les managers version 2050, à quoi ressembleront-ils ?
L’entreprise de demain cultivera l’autonomie dans l’interdépendance, comme tout écosystème. Le rôle du manageur sera donc de réconcilier le moi et le nous, la tentation égoïste à l’intérêt commun. Il aura abandonné des « qualités » comme le contrôle, la domination, le paraître, au profit de l’empathie, la bienveillance et l’être. Ce n’est pas forcément simple d’évoluer en ce sens mais c’est passionnant ! Et c’est le sens de l'histoire.

 

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