Changer le monde avec l'entreprise à mission

Soumis par agathe.renac le
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Bienvenue sur la chaîne de La graine inspirante, des podcasts par et pour les managers. Cet épisode vous est offert par GERME, réseau de progrès des managers ! David Rival reçoit Lauriane Recouvrot, qui dirigeante d’une société à mission pour parler de ce mode de gouvernance.

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Qui est l'interviewée ?

Lauriane Recouvrot est une membre du Conseil d’Administration de GERME. Elle est fondatrice et dirigeante d'EXPLORISSIMA, une plateforme digitale dédiée à la promotion des territoires et des filières touristiques, basée sur une approche authentique et durable.

Les questions abordées dans cet épisode :

  • Pourquoi devenir entreprise à mission ?
  • Une entreprise à mission, est-ce bien raisonnable économiquement ?
  • Par quoi on commence quand on veut devenir entreprise à mission ?

Une définition de l’entreprise à mission selon toi ? C’est la même chose qu’un label ?

Pas du tout. Une société à mission, c'est un nouveau modèle d'entreprise. C'est une autre façon d'entreprendre où en fait, la finalité de l'entreprise, c'est une partie business certes, pour assurer sa pérennité. Mais c'est avant tout mettre en avant et en priorité le bien commun, le bien de tous, que ce soit sociétal ou environnemental.

Dans la raison d'être, il y a une intention, un cap qu'on se fixe, pour apporter ce bien commun au niveau sociétal et environnemental. Et cette raison d'être, elle va venir guider toute la stratégie de l'entreprise, et sera incarnée au quotidien dans toutes les décisions stratégiques ou opérationnelles, dans la façon de gérer ses collaborateurs, d'interagir avec son écosystème…

Des auditeurs peuvent se dire “mais j’ai déjà fixé un cap dans mon enterprise, je ne l’ai juste pas nommé raison d'être. Quelle différence entre entreprise classique et entreprise à mission ?

Oui, sûrement. D'ailleurs, il y a des grandes entreprises qui se disent, tiens, je vais inscrire dans mes statuts une raison d'être. Parfois il y a cette finalité, sans pour autant devenir société à mission.

La différence, c’est que dans une société à mission, il y a un cadre juridique, qui peut être perçu comme contraignant et pour autant qui, derrière, délivre beaucoup de valeur et va venir asseoir les objectifs que la société à mission se fixe. Ça vient poser des engagements forts. “Une raison d'être, ce n'est pas un slogan publicitaire qu'on met en bas de ses panneaux.”

On commence par quoi quand on veut devenir entreprise à mission ?

Si tu veux bien, je vais te donner le cas général, puis je vais illustrer avec l'exemple d'Amicio. Pour une entreprise existante, la dynamique peut venir :

  • soit du dirigeant qui se dit « On est dans un monde qui évolue. On ne peut plus entreprendre comme il y a 20 ans. Il faut faire du business autrement”.C’est une inspiration profonde de la part de l'équipe dirigeante
  • soit ça peut venir des collaborateurs, qui peuvent avoir des idées voire même dans le cas d'Amicio, c'est venu du client qui a dit “pourquoi vous ne passez pas entreprise à mission ? Il faut plus d'inclusion, de diversité.” Ça vient de valeurs personnelles.

Un exemple concret d’une transition d’une entreprise classique vers une entreprise à mission ?

Chez Amicio, les équipes dirigées ont réfléchi à retravailler les valeurs communes dans le cadre d’une fusion. Créer un nouvel élan constructif et positif était nécessaire. Les collaborateurs étaient associés, mais ils ont interviewé des clients pour voir comment eux allaient vivre cette nouvelle entreprise, la nouvelle offre.

C'est deux de leurs clients qui, dans le cadre des échanges, leur ont dit « En fait, vous mettez le bien-être du client au centre même de votre business. Vous êtes déjà une entreprise à mission”.

Et au-delà de la vision, comment juridiquement on peut devenir entreprise à mission ?

La loi de pacte date de 2019 et elle dit : les entreprises peuvent se doter d'une raison d'être, qu'elles vont inscrire dans leurs statuts, déposés au greffe. Cette raison d'être est une finalité, et en une phrase assez courte, tournée vers le bien commun. En fonction d’elle, on se fixe des objectifs environnementaux et sociétaux. En général, il y en a deux ou trois, tout dépend de la taille de l'entreprise. Ensuite, on va les décliner opérationnellement.

Il existe des contrôles ou audits obligatoires pour les entreprises à mission ?

Quand tu es entreprise à mission, tous les 18-24 mois à 3 ans, tu es audité par un organisme tiers indépendant qui vérifie. C’est un peu un suivi de :

  • comment tu as formulé ta raison d'être et comment tu l’incarnes
  • comment tu as décliné les objectifs, voir si ils sont suffisamment ambitieux par rapport à ton entreprise, la maturité de l’entreprise
  • comment concrètement tu traduis ça en action : est-ce que tu as revu ton processus de production pour produire tout en respectant par exemple davantage l'environnement, les collaborateurs,les clients

J'ai vécu mon premier OTI fin 2024. C'est vraiment très challengeant. Celle qui m'a audité m'a dit “Moi, les entreprises, si c'est pour dire j'ai mis du café à grains au lieu de café en capsule, non, ce n'est pas ça être une société à mission. Il faut être ambitieux.”

Un exemple concret d’une société à mission qui a retravaillé ses processus de production ?

On a un comité de mission qui se réunit 3-4 fois par an avec des membres internes, ça peut être des salariés, mais des experts externes qu'on choisit. Et ils vont venir regarder comment tu mets en œuvre tout ça sur le terrain.

Par exemple, j'ai discuté avec Edwige, qui est responsable du suivi de la mission chez Maison Pontier. Comme ils sont en société à mission, ils ont travaillé avec leurs équipes sur comment retravailler le processus de fabrication de purée de fruits pour ne plus avoir de fruits avec des traces de pesticides, pour consommer moins d'eau…

Benoît, par exemple, chez Amicio, me disait Merci. Nous, par exemple, tous nos collaborateurs sont 100% localisés en France. En termes de prix, c'est quand même un choix. C'est parce qu'on a cette finalité de faire notre travail de cette façon-là, ça a des implications économiques et stratégiques.

Certains peuvent considérer que cela relève d’une démarche RSE, d'autres peuvent se dire “oui, mais si on fait ça, ça ne va pas rapporter”. Comment trouver le juste compromis ?

J'ai envie de dire que c'est un chemin. C'est-à-dire qu'on a une finalité. Et ce que me disait une fois Benoît d’Amicio, c'est qu’il a perdu à un moment des clients.Mais il en a gagné d'autres qui étaient plus alignés dans ces valeurs-là. Là, il me disait “on a revu tout notre système de prévoyance pour nos collaborateurs. On a pris quelqu'un en local. C’est drôle car ce prestataire va devenir lui-même entreprise à mission.”

Donc oui, on peut perdre du business sur certains aspects, mais d'un autre côté, vu les valeurs incarnées, on va gagner d'autres clients, fournisseurs, prestataires parce qu'on se retrouve sur certaines valeurs.

Raconte-nous cette envie de créer Explorissima directement en société à mission ?

En fait, je ne me suis pas posé la question de si ça allait me rajouter des contraintes. Pour vous présenter Explorissima, c'est un site web, une application qui révolutionne la façon de partir en vacances. Vous avez tous vos guides de voyage dans votre poche. Et quand vous trouvez ce que vous aimez, vous l'enregistrez dans votre carnet de voyage que vous partagez avec vos proches.

Pour moi, c'était évident. Le tourisme, c'est quand même 11% des gaz à effet de serre dans le monde. On va de plus en plus vers le locatourisme, donc partir pas très loin de chez soi. Je suis anti-surtourisme et j’aime le tourisme authentique, aller découvrir des petites pépites dans les territoires. C'était évident.

Ma raison d'être, c'est promouvoir un tourisme durable et créer un impact local positif. Et pour moi, c'est ce qui me guide au quotidien, et c'est valable pour toutes les sociétés à mission, c'est vraiment une boussole. Donc typiquement, je ne vais pas aller répertorier une activité de type jet-ski qui saccage les fonds marins.

Il y a une vaste nébuleuse avec le respect de l'environnement et de la démarche sociale. Comment on détermine ce qui est bon, ce qui est juste pour son entreprise à mission ?

Dans cette nébuleuse où on ne sait plus trop qui dit quoi, qu'est-ce qui est vrai. Je trouve que le fait de se dire “moi, je crois en ça, je veux développer mon entreprise comme ça,” Ce qui est important pour moi, c’est que mon visiteur, soit “consomm’acteur”.

Je vais lui mettre à disposition des informations pour trouver les petits producteurs locaux, pour être “carbon’acteur” et décarboner ses nuitées, ses trajets. Et l'argent collecté va à des agriculteurs qui mettent en place des techniques vertueuses.

Et puis, “patrim’acteur”, ça c'est mon rêve ultime, c'est qu'on puisse contribuer à la restauration du patrimoine français quand on est touriste sur un territoire. Je pense que ça touche au plus profond de mes valeurs personnelles, d'authenticité. Ça me fait tellement mal au cœur quand je vois des bouts de notre patrimoine français qui par manque d'argent par exemple ne peut pas être entretenu. Pour moi c'est l'histoire, on a un si beau pays, on a une telle histoire que ça doit être respecté, ça doit être entretenu, préservé. Et à l'heure où on est toujours un peu dans l'immédiateté, je trouve qu'avoir ce patrimoine qui passe de génération en génération et qui nous survit finalement, moi, je trouve qu'il n'y a rien de plus beau. Et ça vaut aussi pour la nature.

L'entreprise à mission, est-ce que c'est une façon d’emprunter les codes de l'économie sociale et solidaire, de les mettre au profit d'une entreprise capitalistique ?

Je ne sais pas si on emprunte. Après, ceux qui vont venir travailler sur la déclinaison opérationnelle, ce sont des gens en interne et en externe, qui vont puiser dans ce qui se fait de meilleur dans l'économie sociale et solidaire, dans toutes les démarches RSE. Finalement, peu importe.

Benoît d’Amicio, centre de relation client, me disait hier qu’il souhaite que les collaborateurs aient un degré d'autonomie quand ils répondent à leurs clients. Ce n'est pas facile à faire passer à leurs clients mais ils refusent d'avoir des scénarios complètement scriptés. Parce que le client, ça l'agace en plus, ce qui est vrai. Lui, il essaye de former ses collaborateurs pour qu'ils aient cette latitude et qu'ils correspondent et qu'ils répondent vraiment à la demande du client et pas un truc scripté. Tout ça, par contre, ça a des contraintes. C'est tellement plus facile de dire, je signe un client, tu me donnes le script, et puis après, moi, j'ai des téléconseillers qui vont réciter le script. C'est tellement plus intéressant de former des collaborateurs à avoir cette latitude pour vraiment être au service du client.

Tout comme il m'a dit, on a, je crois qu'il s'était fixé 15% de premier emploi et de ce qu'il appelle rebond professionnel, des seniors. C'est important pour eux d'offrir une première chance à ceux qui arrivent sur le marché, qui démarrent, et à ceux qui sont laissés de côté. Ils se sont fixés cet objectif et ils l'ont atteint.

Quels risques si on atteint pas les objectifs fixés en tant qu’entreprise à mission ? Par exemple dans un contexte de pandémie, de guerre qui augmente les prix… Je ne vais pas être sanctionné par l’auditeur ?

Non, sinon, on aurait tous cette tendance à se prévoir des objectifs plus faciles. Quand tu te dis, je vais mettre tous mes téléopérateurs en France, tu ne cèdes pas à la facilité. Forcément, tu pourrais le faire plus simple. Mais parce que tu te fixes des objectifs ambitieux et réalistes, les fameux SMART, tu arrives pas à pas. En fait, l'organisme tiers indépendant qui t'audite ne va pas te sanctionner si tu as échoué à 98%. Eux, ce qui est important, c'est est-ce que tu es dans la philosophie de ta raison d'être, en chemin.

Pour Explorissima, je me suis fixé des objectifs de référencer tous les points d'intérêt touristiques en France. Finalement, ça prend un peu plus de temps et je me suis formée pour développer la plateforme en no-code parce que je ne sais pas coder. Mais ça, tu l'expliques. Par contre, il y a tout le travail de la base de données, en cours. En fait, tu expliques le chemin que tu prends.

Qu'est-ce que ça apporte de plus aux dirigeants de devenir entreprise à mission ?

Je ne sais pas s'il faut réfléchir dans qu'est-ce que ça va m'apporter. Là, on touche à l'âme de l'entreprise et des dirigeants. C’est est-ce que j'ai toujours envie de mener ou contribuer à mon entreprise, comme je fais jusqu'à présent, ou est-ce que j'ai envie de lui donner une autre dimension, de contribuer à plus grand que soi ? Finalement notre entreprise elle va nous survivre. Donc, quelle dimension je lui donne pour qu'avec mes collaborateurs, on ait une super belle boîte dans laquelle on se sent bien, on fait des beaux produits ou des beaux services, et en plus, on contribue à faire un monde meilleur autour de nous, à notre juste mesure. On ne va pas révolutionner le monde entier, mais travailler avec des fournisseurs locaux, faire attention à ne pas gaspiller de l'eau, c'est vraiment ça l'état d'esprit.

Vous échangez, vous vous conseillez entre entreprises à mission ?

Oui, je fais partie de l'ambassade de la Nouvelle-Aquitaine, de la communauté des entreprises à mission. Peut-être pour te redonner quelques chiffres, en France, on vient de passer la barre des 2000 sociétés à mission. Ça va du solopreneur à l'entreprise du CAC 40. Il y a même des banques.

Par exemple on a eu dernièrement un événement à la Cité du Vin de Bordeaux. Il y avait une table ronde sur le pouvoir transformatif de la qualité de société à mission. Et c'était vraiment de dire, ben oui, en fait, quand on se dote d'une raison d'être et d'objectif, on va venir transformer. Déjà soi-même en tant que dirigeant, parce qu'on fait des prises de conscience, on avance. On transforme son CODIR, ses équipes, la façon dont elles vont travailler et collaborer ensemble. On transforme un petit peu aussi son écosystème autour. On se dit concrètement comment on fait.

En quoi ça impacte le management et même le rapport au travail ?

Bien évidemment, dans une entreprise à mission tu prends soin de tes collaborateurs. Par exemple, Benoît me dit ils ont créé des groupes de travail sur voilà, certains veulent faire la semaine de 4 jours. Ok, ceux qui peuvent le faire vraiment et qui ont envie, testez-le et si ça marche, ce sera mis en place. Donc ça va avoir des impacts sur la montée en compétences des collaborateurs, leur rythme de travail, leur cadre de travail. Pas à pas, on va en créer de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de manager, peut-être plus souples, peut-être plus participatives, plus orientées dans le bien-être de tous dans l'entreprise.

En temps de crise,est-ce que l’entreprise à mission ne devient pas plus facilement “accessoire” ? Comment provoquer un changement beaucoup plus profond et durable ?

Alors, mais justement, je pense que quand tu es entreprise à mission et que tu as mis en place une façon de travailler comme ça, pour moi, ça développe quand même ta résilience. Parce que du coup, si tu as une façon de gérer tes équipes, si tu crées vraiment un écosystème autour de toi avec tes fournisseurs et tes clients, quand ça bouge, il y a plus, je pense, plus d'entraide, plus de solidarité. Je pense qu'on est plus résilient. Tu te retrouves sur des valeurs profondes.

On termine sur une citation de Franck Maurice, un acolyte de la communauté des entreprises à mission Nouvelle-Aquitaine : “On ne changera pas le monde avec de l'eau tiède, mais avec de l'audace”. Si vous avez envie d'aller plus en avant, que vous avez cette conviction intime que vous pouvez aller plus loin dans votre entreprise et contribuer à plus grand, allez-y.

Merci à Lauriane Recouvrot pour son témoignage, sa conviction contagieuse et sa contribution au podcast !

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