Dans cet épisode de podcast, nous retrouvons David Rival et des managers GERME de Savoie pour parler de gestion des conflits au travail. Jusqu’où peut-on accepter, tolérer le conflit en entreprise ? Comment faire un retour constructif au collaborateur en cas de conflit ? Comment sortir d’une rupture de dialogue entre moi manager et mon N+1 ? Comment prévenir le conflit en entreprise ? Réponse dans cet épisode.
Qui sont les interviewés ?

Les interviewés
- Ana, responsable dans une entreprise industrielle
- Claudine Bétemps, animatrice d’un groupe Germe et coach
- Emmanuel Serrier, directeur de magasin dans une enseigne de distribution
- Michel Gabillard, directeur des ventes dans un groupe de solutions d’assemblage
- Pierre, directeur de sites de fabrication de boisso
- Dominique, directeur qualité dans une entreprise industrielle
Les questions abordées dans cet épisode :
- Jusqu’où peut-on accepter, tolérer le conflit en entreprise ?
- Comment faire un retour constructif au collaborateur en cas de conflit ?
- Comment sortir d’une rupture de dialogue entre moi manager et mon N+1 ?
- Comment prévenir le conflit en entreprise ?
Nous parlons de gestion du conflits au sein de son équipe quand on est manager. Anna, tu avais une situation et un contexte à partager ?
Alors, mon histoire se passe dans une équipe d'une dizaine de personnes. Moi, je suis le manager et on a une personne qui, à chaque fois qu'on va en réunion, coupe la parole, elle a un langage et un ton un peu agressifs. Chaque fois que quelqu'un parle, elle dit directement « Je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis, on va clarifier les choses tout de suite. Et l'ambiance devient tendue.
Dans cette situation de conflits en entreprise, c’est la première fois que tu repère cette attitude chez cette personne ou a-t-elle déjà un passif avec une forme d'agressivité ?
C'est une question que je me suis posée parce que c'est une personne qui est d'origine russe. Et donc, on m'avait dit, "c'est juste sa culture qui est comme ça". Et en fait, au début, je l'excusais pour ça. Je me disais, "comprenez-la". Mais quand j'ai commencé à voir que ça avait un impact sur l'équipe, sur l'ambiance... Les collaborateurs ne voulaient même plus venir en réunion parce qu'elle était assez en frontal avec tout le monde. Elle prenait beaucoup de place et elle coupait la parole.
Tes collaborateurs t'ont avertie de ce comportement ressenti comme agressif ?
Ils sont venus me dire "Si cette personne continue avec ce comportement, on ne peut plus venir. Donc, soit tu la sors de l'équipe, soit il faut qu'on trouve une solution."
Comment décides-tu de régler ce conflit dans ton équipe ?
Je me dis, je l'ai observé, je l'ai bien vu et en effet, je n'ai pas agi. Et c'est le moment d'agir et je pense qu'il y a déjà des personnes qui sont parties de l'équipe, du projet à cause de ça. C'était un projet qu'on gérait ensemble initialement. Donc, je décide d'aller parler directement avec cette personne. Chose que je n'avais pas faite avant. Je lui propose de se voir. Je lui ai dit, "il faut qu'on discute quelque chose". Je lui ai demandé d'abord comment elle se sentait dans l'équipe. Et bizarrement, elle me disait que très bien., que le projet lui a beaucoup plu.
Elle me le dit sur un ton détendu, elle n'est pas dans le défi. Je pense qu'elle a été très surprise. Au moment où j'ai abordé le sujet ou je lui ai dit "j'ai besoin de te parler de quelque chose et il y a beaucoup de personnes qui sont venus me voir pour me faire part de la façon dont tu t'exprimes, dont tu leur parles. Quand tu prends la parole tu vas mener les réunions dans ton sens et ça les gênent. Ils ne trouvent plus leur place dans l'équipe.”
Comment faire un retour constructif au collaborateur en cas de conflit ?
Il se trouve qu'elle a été très surprise. Il se trouve que j'avais fait une formation de feedback constructif où il fallait que je prenne en compte ce que le collaborateur me disait, mais aussi ce que j'avais observé. L'effet. Les personnes impliquées demandent toujours des exemples. Et donc, je lui ai dit "écoute, par exemple, la réunion d'hier, quand on était là, tu as commencé à dire : "personne ne fait rien, ce n'est pas possible, on doit créer un SharePoint". Et quand quelqu'un a voulu expliquer pourquoi il ne le faisait pas, tu lui as coupé la parole. en disant "regarde, moi c'est comme ça que je fais". Et du coup, ça n'a pas été compris.
Certains collaborateurs peuvent ne pas voir l’impact négatif de cette attitude d’opposition mais plus comme “il faut que le projet avance”. Qu’en penses-tu Pierre ?
Oui, c'est vrai que quelquefois dans les techniques d'animation de réunion, il y a quelqu'un qui est là pour pousser les sujets, comme on dit. Il faut faire avancer. Et quand c'est un peu bloqué, c'est un peu son rôle. Ici elle a une posture, comme tu le dis, comme elle est ressentie par ses collègues, agressive. C'est peut-être ça qu'elle a à travailler, mais peut-être qu'elle se voit dans le rôle de la "pousse-décision, il faut faire avancer le projet". C'est ce que je comprends de la situation.
Est-ce que son rôle était d'avoir cette mission de “pousse décision”, de challenger les autres ?
Non, clairement pas. Clairement, ce n'était pas sa mission, mais il avait besoin de donner un avis dans toutes les quelle discussion dans la réunion et d'imposer un peu son avis.
Et que traduit ce besoin d'imposer son avis, une peur de ne pas avoir assez de place dans l'équipe ?
Je lui ai posé la question. : "Pourquoi tu penses que tu agis comme ça ? D'où ça doit venir ?" Elle m'a dit que c'est elle qui était la plus ancienne sur ce projet, sur ce sujet-là, et elle pense qu'elle ne fait pas confiance aux gens. Elle ne me l'a pas dit comme ça, mais que les autres connaissent moins ce sujet là car elle est commerciale sur un sujet d'expérience client. Donc elle pense que les gens n'ont pas l'historique, ne connaissent pas les relations clients.
Ce qui est peut-être vrai. Ce n'est pas facile de manager un expert qui a de l'expérience une connaissance assez pointue. Michel ?
Alors moi, j'ai eu ça. Deux experts qui s'affrontaient dans mon équipe. Un qui avait eu cette fonction des années auparavant et qui ne comprenait pas pourquoi dans son nouveau rôle, il n'avait pas gardé ce domaine-là, qui avait été donné à une autre personne. Et donc, il entrait en conflit régulièrement. Il venait me voir "C'est du n'importe quoi, la façon dont il gère les approvisionnements, les stocks sécurité ne sont pas au niveau. Moi, de mon temps, ça marchait bien". C'était mieux avant. Voilà, donc il y avait ce conflit-là. Il avait cette expertise, sauf que ce n'était plus dans son domaine et que j'ai dû lui expliquer de passer à autre chose, que d'autres étaient sur ce domaine-là.
Il y a le niveau d'expertise de son collaborateur à gérer, mais aussi l'égo ?
Oui. Autant l'expertise, tu peux tout de suite dire, l'autre l'a également, autant l'ego, pour le nourrir ou même le calmer, du coup, je lui ai donné autre chose à faire.
Je reviens sur l'histoire d'Anna et de sa collaboratrice, j'entends que son intention initiale était positive. Est-ce qu'à un moment donné, cette intention a été reconnue, valorisée ?
Je pense que dans la discussion, je lui ai dit « En effet, tu es commercial, tu connais bien les clients. Mais maintenant, il faut aussi laisser la place aux autres. On est aussi ici pour que l'expérience client soit partagée par d'autres personnes de l'entreprise qui participent au parcours client. » Alors, j'ai eu le sentiment qu'elle m'a écoutée à moitié et son comportement a changé de façon négative. Elle n'était pas dans la réunion, au lieu d'être plus à l'écoute, j'ai l'impression qu'elle s'est sentie bridée.Elle m'a aussi dit "En fait on me coupe à moi aussi tout le temps la parole, du coup à un moment je me suis dit, je vais couper la parole aussi". Elle me disait qu'elle ne savait plus comment agir.
Elle vivait un sentiment d'injustice selon toi ?
Oui, je pense qu'elle cherchait un peu sa place, elle ne savait plus comment se positionner. Et en fait, c'est elle-même qui a demandé à sortir de l'équipe.
Comment tu vis la fin de cet épisode ? C'est un échec ? C'est une préservation de l'ensemble de l'équipe ?
Alors, je l'ai vécu comme une préservation de l'ensemble de l'équipe. Finalement, je pense que peut-être on a dit les choses un peu tard. J'aurais pu intervenir un peu plus tôt. Après, moi, pendant les réunions, quand je voyais quelqu'un prendre beaucoup la parole, je lui disais "excuse-moi, s'il te plaît, on va laisser parler les autres". J'ai essayé de le faire, mais c'était déjà assez tendu comme ambiance. Et donc peut-être que j'ai laissé aller un peu loin, mais je me dis au moins à un moment j'ai intervenu. Et je lui ai dit les choses et on s'est parlé, j'ai compris d'où ça venait. Et après c'était son choix de quitter le projet, même si vraiment j'ai essayé de faire attention à elle aussi par rapport à ce qu'elle m'a dit, qu'elle sentait aussi qu'on lui coupait la parole.
Qu'est-ce qu'elle est devenue cette personne ?
Je pense qu'elle se cherche encore aujourd'hui. Mais peut-être que cet échange qu'on a eu et cette expérience qu'il y a eu avec ce projet, ce qui s'est passé avec l'équipe, l'aide à mieux trouver les projets où il faut qu'elle aille et comment elle se comporte avec les autres.
Nous parlons de conflits, montrez-nous vos conflits, ça ressemble à quoi au quotidien ? Dominique, tu as une histoire de conflit avec ton chef, qu'est-ce qui se passe ce jour-là ?
Alors, ce jour-là, ce chef avec qui j'ai une belle complicité me demande comment je l'ai trouvé dans sa présentation et une négociation très tendue qu'on avait eue avec des élus. Et en fait, pour tout te dire, je l'ai trouvé vraiment mauvais.
En quoi ton N+1 était mal préparé lors de cette réunion ?
Je l'ai trouvé mal préparé, je l'ai trouvé condescendant, j'ai trouvé qu'il n'était pas du tout à l'écoute des demandes des différentes personnes et je le lui dis avec beaucoup de franchise, en me disant qu'on a une relation de confiance et que, s'il me demande mon avis, il vaut mieux que je lui dise vraiment ce que je pense, sans prendre de jeu de rôle. Je sens bien qu'il y a quelque chose qui se brise, en fait. Je pense qu'il était en fragilité parce qu'il devait vraiment se rendre compte, lui aussi, que ça ne s'était pas bien passé et qu'il était responsable de ce moment. Et du coup, quand il me demande de lui dire ce que je pense, je pense qu'il cherchait à ce que je le rassure. Et je ne le rassure pas du tout. Je sens bien, qu'ensuite il me met à l'écart, il m'évite.
Comment ça se matérialise une rupture de dialogue ?
Je me retrouve à essayer de le traquer pour avoir nos réunions. On est supposé avoir des points hebdomadaires qui n'ont jamais lieu. Oui, placardisés de lui, pas de l'entreprise, mais de son service. Je fais des trucs complètement débiles comme... contacter son assistante pour savoir s'il est dans son bureau. Quand j'ai des questions à lui poser, vraiment, je lui pose des traquenards. Et à la place d'affronter la situation, tous les deux, en fait, on reste dans ce rôle où on ne se dit pas les choses, en fait. Je ne lui dis pas qu'il ne joue plus son rôle managérial avec moi. Donc, je ne lui aurais pas dit comme ça, parce que j'apprends quand même de mes erreurs. Mais je ne lui dis pas mon besoin de N-1.
Dans cette situation d'évitement, quel est ton besoin en tant que N-1 ?
J'ai besoin quand même d'avoir des contacts avec mon chef, qu'on parle de mes projets, d'avoir des objectifs. Et à ce moment-là, je n'ai plus rien. Je pense que je n'ai pas compris l'état dans lequel il était. Je me suis plutôt dit « allez, vas-y, on te demande ce que tu penses » , sans me questionner sur ce que ça ferait sur lui et comment j'aurais dû me positionner. Donc, cette histoire, on en est tous les deux responsables à cet instant. Et après, on laisse traîner, et ça c'est un vrai problème parce que ça s'envenime. La situation ne s'améliore pas. Moi, je suis très malheureuse. C'est très compliqué pour moi au quotidien de mener mes projet. de travailler avec mon équipe, de trouver le sens dans mon travail parce que j'ai besoin d'avoir ce contact avec mon chef que je n'ai plus. Et lui est très froid. Je ne sais pas ce qu'il ressent. Mais à un moment donné, la situation devient vraiment difficile à tenir. Et donc, j'ai encore une autre réaction qui n'est pas tout à fait appropriée: je commence à râler auprès de tout le monde. Je suis hyper attentive à tout ce qu'il ne fait pas bien, à tous ces petits écarts. Et je tourne en boucle dans ce marasme et dans cette situation qui est très malsaine, à la place de l'affronter clairement et d'aller lui en parler.
Bon, à ce stade de rupture du dialogue avec son N+1, que peut-on conseiller ?
(Michel) On peut provoquer une réunion et lui faire état de tout ce que tu ressens et de ta situation. Et d'essayer d'être plus ouvert à nouveau avec lui pour parler de la situation dans laquelle tu es en mal-être. (Richard) Peut-être aussi exprimer son besoin d'être accompagnée et managée. Qu'il ressente qu'il a un rôle à jouer pour toi.
(Claudine) C'est un peu culotté, mais comme à ce moment-là, comme tu as eu une prise de conscience, peut-être ouvrir la discussion en disant, "écoute, je m'excuse, peut-être que ce jour-là, j'ai été un peu dure". Apaiser et rentrer par cette porte-là.
(Emmanuel) Pour compléter et globaliser, il faut que tu sois authentique, tu trouves le courage, comme il y a le courage managérial, il y a aussi le courage relationnel. De laisser parler tes émotions qui vont de la rancœur qui a été construite à la frustration, au besoin d'être managé. Enfin, tout ça, c'est de l'émotion. Et finalement, casser ce tabou qui est très récurrent dans nos boîtes, qui dit "non, je ne parle pas de ce que je pense, je ne parle pas de ce que je ressens, je ne parle que des faits" pour être plus authentique. Alors, à ce moment-là, je suis tout sauf authentique. Je suis tout. tout sauf courageuse. Je n'ai pas envie d'affronter cette situation.
(Pierre) A ton avis, tu étais la seule à vivre ça comme ça ? Ton N+1, comment il vivait ça ? Est-ce qu'il n'a pas trouvé que tu avais changé finalement, mais qu'il n'avait pas compris pourquoi ?
(Ana) Alors, je ne sais pas du tout comment lui vivait ça. Et je ne me pose pas cette question parce que je suis tellement dans ma colère, dans ma rancœur, dans cette frustration, ce cycle de maintenance dans lequel je n'arrive pas à sortir en fait. À juste trouver que tout est horrible de cette personne-là et qu'elle ne répond pas à mon besoin. Et vous me suggérez d'en parler et j'en parle, mais avec tout le monde sauf lui. C'est allé très loin. Et la question est bonne, en fait, de se dire comment lui le perçoit, mais je crois que sur le moment je m'en fiche un peu. Je suis tellement concentrée sur moi et sur nourrir cette colère et cette frustration que je n'y pense pas.
Tu dis que tu en parlais à tout le monde, mais est-ce que tu avais une personne peut-être avec qui tu as pu être vraiment vraie, un tiers à qui te confier ?
(Ana) Oui, alors j'ai beaucoup d'écoute à ce moment-là des personnes envers qui je me confie. Malgré cette écoute, je tourne en boucle, en fait, ils se rendent bien compte que c'est un peu... immature, irrationnelle comme situation. Un jour je dis stop. C'est malsain comme situation. Ça mange la dynamique de notre équipe. Ça fait que je ne suis pas performante du tout dans mon travail. Je ne suis pas performante avec mon équipe et ça, ça ne me convient pas du tout. Alors, je décide que je vais partir de l'entreprise. Moi non plus, je n'ai plus confiance en lui. La confiance s'est brisée. Et parce que j'ai répondu à sa question je le paye. Mais pas que dans notre relation. Je le paye dans les informations que je n'ai plus. Je le paye dans les projets qui me sont proposés qui sont beaucoup moins intéressants. Et donc, je me sens trahie. Et je n'ai pas l'impression que c'est à moi de faire cet effort d'aller vers lui.
Que s’est-il passé quand tu as parlé de quitter l’entreprise, suite à cette relation professionnelle détériorée ?
(Ana) Alors, finalement, j'en parle, que je vais partir. Et on me dit, « Non, écoute, tu ne peux pas partir, ça ne va pas. On est conscient de la situation et du coup, on va t'aider. » Et donc, on me change de chef. Le jour de mon anniversaire, on me propose de changer de département. Chose que j'accepte avec... Beaucoup de gratitude parce que j'aime cette entreprise, j'aime les dirigeants, j'aime les équipes.
Un autre directeur me dit « J'ai demandé à ce que tu viennes dans mon équipe parce que je te connais, je vois ce que tu fais, j'ai confiance en toi et je pense qu'on va pouvoir faire des belles choses. » Je change d'équipe et effectivement, à partir de ce moment, on fait de belles choses. J'ai beaucoup moins de contact avec mon ancien manager, qui est finalement part ide l’entreprise. Le jour de son départ, il est venu me saluer et il a essayé de me débaucher.
Peut-être que ton ancien N+1 ne t’en voulait pas finalement ?
(Ana) Quand j'ai eu un autre chef et que j'étais capable d'exprimer mes forces, de travailler avec mon équipe, de vraiment... mettre toute cette énergie de rancœur que j'avais contre lui au service de mes projets. On a eu beaucoup de victoires et à un moment donné, lui, il a eu quand même la maturité, chose que moi je n'ai pas forcément eu, de reconnaître mes forces, la valeur que j'avais pour l'entreprise et de me soutenir ouvertement devant le comité de direction.
Alors, je pense qu'il a réalisé que j'avais moi aussi appris de cet épisode. Maintenant, quand on me demande mon avis, je prends pour acquis qu'on veut réellement mon avis, mais que je dois être vigilante dans la façon dont je le donne. Donc, j'ai beaucoup travaillé sur ma communication, jusqu'où je pouvais aller et vraiment m'assurer que les personnes qui sollicitent mon avis ont vraiment envie et si ils sont prêts à le faire. J’ai appris à me concentrer dans ces moments-là plutôt sur l'autre que sur moi.
Jusqu’où on peut accepter, tolérer le conflit en entreprise ?
(Emmanuel) Dès qu’on sent qu’il y a de la souffrance et on est pas tous égaux dans la façon de vivre la relation. On peut accepter personnellement certaines remarques que son voisin ne va pas accepter. Donc si on n'est pas assez à l'écoute, assez attentif, notamment en plus en tant que manager, dans des équipes... ça peut vite glisser. Il faut faire très attention à ça. Il faut être à l'écoute, il faut créer aussi les moments d'échange. Il y a des entretiens managériaux qui sont faits pour ça et quelquefois, ça permet de détecter. Puis après, il y a toujours un tas de faisceaux aussi dans le fonctionnement, dans le temps que certains projets peuvent mettre à aboutir pour dire quelque chose qui ne va pas. Donc, ça peut être quelquefois le conflit, le grain de sable.
(Michel) Moi, je pense qu'il est tolérable tant... qu'il ne s'étend pas à d'autres personnes. Donc ça, c'est le premier point. Et qui, pour autant, sont restés un petit peu extérieurs. Ils sont rentrés dans le conflit. Donc, elles ont apporté leur soutien à Dominique, mais elles ne sont pas allées au-delà. Je dirais, quand ça ne s'étend pas à plusieurs autres personnes, on peut encore tolérer. Ce qu'il ne faut pas, Et je rejoins aussi sur le bien-être et la sécurité, tant que ça ne vient pas jouer également là-dessus. Parce que nous, managers, on est aussi complètement impliqués et responsables, notamment sur la partie sécurité, bien-être.
Une histoire de conflit à nous partager qui a eu un impact sur le bien-être au travail ?
J’ai eu un conflit avec, il y a très très longtemps, lors de mes débuts, avec le PDG d'un groupe français qui était mon patron direct. Tous les jours il m'appelait à 7h30 du matin et il hurlait au téléphone. Donc je savais que le téléphone à 7h30 du matin sur mon bureau allait sonner et que pendant 5 minutes j'allais avoir une remontrance sévère parce que c'était une personnalité colérique et puis ça, ça a duré pendant des mois. J'ai senti que moi ça commençait à jouer sur ma santé, que ça jouait avec mon équipe parce que j'étais... Tout ce que je prenais moi comme engueulade... Je la retransmettais directement à mon équipe. Et puis, j'ai commencé à avoir des comportements dans mon équipe, moins de performance. Et j'ai vu, moi, que personnellement, en bien-être, ça allait mal. Et puis, j'ai décidé de lui répondre sur le même ton un matin. Voilà. Et le conflit s’est arrêté là car j’ai reçu une lettre de licenciement. J’ai été soulagé je crois.
Performance et gestion des conflits, quel lien ?
(Dominique) Est-ce un gros mot de parler de performance dans ce genre de sujet ? Moi, je dirais que non. Ça peut aider le manager justement à légitimer sa position pour réagir. Il est vraiment légitime à réagir quand la performance de son service, de son secteur est en jeu. Et je pense que ça doit être assez rapide. Ça permet de sortir des considérations, on va dire, émotionnelles.
(David) Mais finalement, ça n'est qu'une excuse, on ne devrait même pas aller jusque-là. C'est tout simplement une affaire de bon sens relationnel. L'idéal, ce serait quand même de se respecter sans avoir à utiliser comme prétexte la performance de l'entreprise.
(Ana) C'est de l'humain. Même si on se dit des choses sans vouloir blesser, parfois, c'est mal perçu et ça crée des frustrations. Donc, on ne peut pas juste dire qu'il y a des règles. Si on suit bien les règles, ça va bien se passer. On est des humains, on n'est pas des robots.
(Emmanuel) C'est à la fois une excuse, mais je pense que c'est un levier très fort sur lequel le manager est complètement dans son droit. Et ça lui permet, je pense, de se positionner de façon neutre et forcément d'amener une réaction, de légitimer une réaction. Alors que si on est sur le point de vue émotionnel, je pense que c'est très compliqué de prendre parti. Le problème sur la table, sur la performance, je pense que ça oblige tout le monde à réagir. Et on voit bien dans les exemples qui ont été évoqués, même quand on est dans le factuel, parfois ça peut ne pas suffire.
Comment est-ce qu'on peut prévenir le conflit ?
(Emmanuel) Sentir les situations conflictuelles, en tout cas les potentiels conflits, ça ne veut pas dire les éviter tout le temps. Ça peut vouloir dire aller au bout, mais les gérer différemment. Ça peut vouloir dire atténuer leurs effets ou les éviter. Donc, il n'y a pas qu'une solution. Il n'y a pas de magie.
J'ai la chance depuis 10 ans :
- d’être devenu manager transverse, récupérer du recul mais aussi un point de vue différent sur les potentiels conflits, en tout cas les interactions entre les personnes ou dans les dossiers.
- d'avoir adhéré à GERME.
Quand on mêle tout ça, plus un peu d'expérience., je crois que la synthèse, c'est tout ce qu'on apprend dans le management humaniste :
- l'écoute, qu'elle soit active, qu'elle soit persuasive, qu'elle soit l'acceptation d'un point de vue différent
- une forme de sérénité qu'on peut trouver car on a vécus déjà d’autres conflits qui nous permettent de dire “qu'est-ce qui compte vraiment ? Est-ce que c'est le conflit ? Ce qui peut en sortir, ou finalement l'interaction qu'on a avec la personne en face ?”
Un outil pour prévenir le conflit ?
L’interaction. On fait beaucoup d'inclusion dans nos groupes de travail. Je suis dans une entreprise qui les pratique également. L'inclusion entre deux personnes, c'est le bonjour, c'est “comment ça va ?”, c'est “comment a été le week-end ?”, que ce soit sur un écrit ou un verbal. La première entrée en matière c'est ça, c'est le sourire. C'est ce qu'on dit, notamment aux gens qui sont dans des métiers de commerçants. Vous rentrez dans un magasin, la première personne que vous allez croiser, vous allez prendre en compte ses yeux et ses paroles. Donc c'est pareil pour nous, on est un peu commerçant nous-mêmes. Et ça, ça se construit.
Une histoire de conflit désamorcé ?
(Emmanuel) J'ai intégré un groupe avec un jeune manager, qui est un maîtrisant. Il a construit une équipe seul, puis deux ans après ils étaient trois, aujourd'hui on est douze. Dans ces douze, beaucoup de gens ont une expertise métier, soit par leurs études, soit par leur expérience professionnelle, mais pas d’expertise des métiers ou des produits que le groupe vend. Il a envie de leur faire confiance, mais sa nature prend très vite le contrôle. Il est parfois très cash, et avec des jeunes managers. Il est capable de leur dire “Ta chemise a un goût qui ne me plaît pas”, comme il pourrait le dire d'un logo aux chargés de marketing pour travailler dessus. Le ou la jeune manager qui reçoit ça, si il n'a pas un peu de bouteille, il repart, soit le soir avec la boule au ventre, soit le lendemain matin en se posant des questions “Pourquoi je reste là ? Si c'est pour me prendre des vannes tout le temps”. Donc cette situation, elle est simple. Je connais ce manager et je sais que ses paroles va blesser. Elle a été émise, cette parole. Donc c'est de prendre tout de suite le relais et d'engager la conversation avec le manager. Et de prendre non pas la pression du manager, mais la discussion auprès du manager. Donc détourner son attention.
Quels sont les facteurs qui peuvent entraver le chemin du manager dans la gestion du conflit ?
(Emmanuel) Je crois que le contexte de plus en plus... voulu performant, incertain et complètement imprévisible. Cela rend certains managers beaucoup plus fragiles et donc beaucoup plus durs dans leur relation à l'autre. Les managers ne tiennent pas tous cette pression. Et si on a de la mauvaise humeur, de la pression, parfois l'incompétence du manager rejaillit directement sur le managé. Et les conflits viennent souvent de là.
Quand on rajoute à ce contexte de pression ces trois ingrédients, on a des situations explosives toutes les minutes :
- l'intolérance
- l'inconsistance, c'est-à-dire le changement d'avis du matin au soir
- l'inexpérience, et ça qui est tout à fait excusable.
J'ai cette chance d'avoir un management transversal. Donc, j'ai un responsable qui n'est pas un N+1 suivant les projets. Il peut changer d'ailleurs. Donc, ça me fait découvrir beaucoup de tempéraments différents.
C'est peut-être ça l'avenir pour désamorcer les conflits : un manager volant ?
(Emmanuel) C'est souvent, en tout cas, que notre esprit puisse accepter d'avoir des gens différents. et de s'y adapter. Et peut-être naïvement, de croire qu'avec la discussion que je peux avoir avec le manager, la fois d'après, il agira différemment avec la personne.Finalement, qu'il aime son métier de manager, parce que s'il l'aime, s'il est piloté par l'amour, plutôt que par la performance, il aura la performance au bout. Mais sans blesser personne, et en faisant grandir ses équipes.
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