Peut-on encore se permettre de rêver ?

Soumis par sandrine.besnier le
Peut-on encore se permettre de rêver ?

Dans ce climat anxiogène notamment lié à la crise sanitaire et à l’urgence climatique, comment faire pour continuer à agir et à rêver ? Philippe Brasseur, “cultivateur d’idées” selon ses termes, intervenant Germe depuis quatre ans, nous livre quelques clés.

“La première chose est de ne pas se surexposer aux informations anxiogènes. Nous pouvons vite devenir addicts... Ensuite, il faut savoir s’en tenir à notre sphère d’influence. Il y a des choses sur lesquelles nous pouvons agir et d’autres non.” Selon Philippe Brasseur, le manager peut, par exemple, agir et influer sur les comportements écologiques et sanitaires au sein de son entreprise. Où les managers peuvent-ils donc trouver des ressources pour agir ? “En eux ! La première responsabilité d’un manager, c’est de prendre soin de lui et de sa santé intérieure. Aujourd’hui, de nombreux managers sont fatigués, épuisés. Dans cet état, ce n’est pas facile d’influencer positivement son équipe...”
Alors, dans cette période de turbulences, quand tout semble bancal et incertain, peut-on encore se permettre de rêver ? Philippe Brasseur l’affirme haut et fort : “Oui, c’est même essentiel, de penser au coup d’après ! Bien sûr, il y a des tensions actuellement, mais il est indispensable de préparer l’avenir et d’offrir une perspective”. Le manager utopiste serait donc “celui qui sait emmener ses troupes en leur projetant une vision désirable et ancrée dans des valeurs fortes”. C’est-à-dire à l’opposé d’un manager qui serait simple courroie de transmission et qui ne donnerait pas d’espérances fortes. “Devenir un manager utopiste, c’est être capable d’utiliser la puissance du récit et des images (storytelling). Son rôle est alors de raconter une histoire à ses collaborateurs dont ils sont les héros, une histoire qui les emmène vers une transformation heureuse et positive.”
Philippe Brasseur ajoute : “L’utopie est intéressante parce qu’elle nous invite à aller au-delà de nos croyances et de nos habitudes de pensée. Elle est terriblement inspirante. Il est de toute façon impossible d’imaginer l’avenir avec les catégories du présent !”. Malheureusement, la plupart d’entre nous ont grandi avec l’injonction “Arrête de rêver !”... Pourtant, pour Philippe Brasseur, il existe “une responsabilité des rêves” : nous sommes tous responsables de nos rêves, nous devons nous en occuper, y être attentifs, leur accorder de l’importance et les frotter à la réalité. Parce que comme le disait Gianni Rodari dans La grammaire de l’imagination*, “pour se connaître, il faut pouvoir s’imaginer” !

* Poète, écrivain et journaliste italien. Son livre La grammaire de l’imagination est paru en France en 2010 aux Éditions Rue du monde.

 

"Toutes les grandes innovations ont d'abord été des utopies"

Trois questions à Sandrine Roudaut, perspectiviste au service d'un autre monde depuis 20 ans, conférencière, auteure de deux essais "L'utopie, mode d'emploi" (La mer salée 2014), "Les suspendu(e)s" (2016) et un roman d'anticipation lucide et positif "Les déliés" (septembre 2020).

Comment définiriez-vous l’utopie ?

Étymologiquement, l’utopie, c’est ce qui n’a pas de lieu, qui est irréalisé. Nous avons traduit cela par l’irréalisable, mais c’est un malentendu. Internet, le droit de vote des femmes, la Sécurité sociale... : toutes les grandes innovations ont d’abord été des utopies. Les utopies d’aujourd’hui sont les évidences de demain. L’utopiste est déterminé à faire évoluer son époque.

L’utopie est-elle encore plus nécessaire et souhaitable aujourd’hui, dans notre contexte ?

Oui, plus que jamais ! Nous ne sommes pas tous des utopistes, mais nous avons besoin d’utopistes qui s’autorisent à imaginer un autre monde, qui nous proposent d’autres modèles de société. Parce qu’il ne s’agit pas d’adapter ce qui existe pour faire moins pire (moins d’émissions de CO2, par exemple)... L’utopie est une véritable inversion de la vision du progrès : l’utopiste se préoccupe d’abord de ce qu’il veut pour demain. Pour y parvenir, il s’affranchit de l’existant et ouvre ainsi le champ de l’innovation. L’invention de l’ampoule ne vient pas de la bougie, mais de la lumière.

Pourriez-vous nous citer quelques entreprises qui ont réussi à réaliser leur utopie ?

Il y a, entre autres, 1083 qui fabrique des jeans en coton bio entièrement en France et qui a réussi à rouvrir une filature dans le pays ! Autre exemple : les chaussures Veja, une marque qui a été créée sans qu’aucun euro ne soit alloué à la publicité. Et à Harare, la capitale du Zimbabwe, le centre d’affaires Eastgate Center, inspiré des termitières, fonctionne sans clim’. Ces entreprises nous donnent vraiment envie de demain. C’est déjà un peu du nouveau monde !

 

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