CITÉ CAP 2018 : Plénière de clôture

Soumis par teclib le
Cité Cap 2018 : Plénière de clôture

Tout pour la musique : rencontre avec Zahia Ziouani

 

Zahia Ziouani est chef de l’orchestre Divertimento qu’elle a créé en 1997. Basé à Stains, en Seine-Saint-Denis, cet ensemble réunit aujourd'hui 70 musiciens autour de projets artistiques et coopératifs, menés au cœur du département. Invitée d’honneur lors de la plénière de clôture et interviewée par Pierre Burello, elle nous raconte son parcours et son rôle de manager.

 

Zahia, pourrais-tu nous raconter ta vie, ton parcours ?

« Un grand merci, tout d’abord, pour votre invitation. L’orchestre Divertimento a été créé il y a 20 ans - c’est un très bel âge ! Ce projet n’est pas né de nulle part. J’ai grandi en Seine-Saint-Denis. J’ai une sœur jumelle et un frère. Nos parents nous ont fait découvrir la musique. Au Conservatoire, il ne restait plus qu’une place. Maman n’a pas voulu choisir entre ma sœur et moi, c’est donc mon frère qui y est allé. Mais elle assistait aux cours et notait tout ! Nous avons pu intégrer le Conservatoire en cours d’année. Je jouais d’abord de la guitare, puis de l’alto au sein d’un orchestre. C’était comme une grande famille. Une famille qu’il faut réussir à intégrer, une famille dont l’équilibre est à trouver. Plus tard, j’ai voulu mieux comprendre ce fonctionnement. Heureusement, j’ai eu la chance, alors que j’étais jeune et que j’étais une femme, d’intégrer la classe de Sergio Zelibidack pour devenir chef d’orchestre. Puis j’ai créé l’orchestre Divertimento en 1997. »

 

Qu’as-tu envie de nous dire aujourd’hui ?

« Tout ce que j’ai entendu ici a beaucoup résonné en moi, avec la démarche que nous menons au sein de l’orchestre. Un orchestre, ce n’est jamais l’histoire d’une seule personne, mais de toute une équipe. Il existe de nombreux orchestres dans le monde entier. Si nous étions venus avec les mêmes idées que tout le monde et avec moins de moyens, cela n’aurait pas pu marcher, nous n’aurions pas existé ! Nous avons eu l’idée d’investir un territoire dans lequel la musique symphonique n’était pas très présente, surtout auprès des jeunes. Nous avons continué à croire en nos valeurs, nous n’avons pas baissé les bras. Dans l’orchestre, certaines personnes peuvent apporter d’autres qualités, d’autres compétences que leur talent musical. Même si nous n’avons pas beaucoup de ressources, nous avons des idées ! »

 

L’innovation, c’est une façon de transformer le monde. Comment innovez-vous ?

« Pour nous, l’innovation, c’est être capable de s’intégrer à un territoire, quel qu’il soit, que ce soit le milieu carcéral ou la Philharmonie. Ensuite, nous innovons en montrant d’autres visages de la musique classique française, la façon dont les compositeurs se sont inspirés d’autres musiques (du jazz, de la musique d’Afrique du Nord…). Travailler sur la mise en scène, sur les lumières, c’est aussi de l’innovation. Enfin, nous partageons notre expérience dans d’autres territoires comme le Nord, la Sarthe ou la région Auvergne-Rhône-Alpes. Aller à la rencontre d’autres territoires représente une grande richesse. Cela nous permet de nous réinterroger, de ne pas nous installer dans notre zone de confort. »

 

Un chef d’orchestre, c’est aussi un manager. Comment vis-tu ce rôle ?

« Ce n’est pas toujours facile, vous le savez ! Quand on est manager, on a beaucoup de responsabilités. Mais j’aime ce métier. On crée du lien. Parfois, notre orchestre rassemble jusqu’à 120 musiciens. Le chef d’orchestre doit alors fédérer tous les musiciens, leur donner envie de donner le meilleur d’eux-mêmes, les motiver et faire le lien entre la scène et le public. C’est très important pour nous. Souvent, on joue et on s’en va, c’est frustrant. Nous, nous avons voulu créer du lien avec le public, créer un temps de partage. Le chef d’orchestre doit catalyser les énergies. Et ce n’est pas toujours facile, avec la tension et la fatigue des tournées… Finalement, mon enjeu, c’est de mettre en valeur les qualités de chacun. Parmi nous, il y a des musiciens qui sont, par exemple, plus à l’aise pour aller en milieu carcéral que d’autres. Tous font des propositions, contribuent à la réflexion. Je n’aurai pas pu tout faire toute seule ! »

 

 
« Ce qu’on attend d’un musicien – qu’il puisse se positionner dans l’orchestre et prendre des initiatives -, c’est exactement ce qu’on attend d’un collaborateur dans le monde du travail. »

 

La symétrie avec ce que l’on vit est impressionnante… Et comment arrives-tu à faire le lien avec le territoire ?

« Il fallait trouver une identité forte à notre orchestre. Sur notre territoire, il n’y avait pas d’orchestre symphonique, le public devait aller à Paris. Mais ce n’est pas toujours évident quand il n’y a plus de transports en commun après 19h… Jouer dans des salles de concert avait aussi ses limites : dans le public, nous ne retrouvions pas les personnes que nous pouvions croiser dans la rue. Nous voulions nous engager pour donner du sens à notre travail, contribuer au développement de la musique et changer l’image de certains quartiers. Ce n’est pas toujours simple, certaines salles sont moins confortables pour jouer… Dans ces moments-là, il faut se rappeler le sens de notre action et l’importance de nos engagements. Mais aujourd’hui, je n’ai plus besoin de le rappeler aux musiciens ! »

 

Comment êtes-vous financés ?

« Nous voulons être indépendants pour rester libres et souples. Mais les coûts sont importants et nous recevons peu d’aides de la part de l’Etat. Nous avons donc appris à faire différemment : les collectivités pour lesquelles nous jouons nous soutiennent, nous avons mis en place un système de production pour financer des recettes, ainsi qu’un système de mécénat personnel et d’entreprises. Actuellement, des entreprises comme la Société Générale ou Lagardère nous soutiennent. Ainsi, même si cela représente un surplus de travail, nous ne dépendons pas d’une seule source financière. C’est l’ensemble des différentes contributions qui nous permet de réaliser de beaux projets. »

 

Vous vous rendez en milieu carcéral, mais aussi dans les écoles. Quel effet provoquez-vous auprès des enfants ?

« La musique est un art magique ! C’est important de ressentir l’énergie que dégage un orchestre symphonique, mais aussi de la pratiquer. Notre objectif, c’est de toucher un large nombre d’enfants et de permettre aux jeunes de développer leurs compétences. Ce qu’on attend d’un musicien – qu’il puisse se positionner dans l’orchestre et prendre des initiatives –, c’est exactement ce qu’on attend d’un collaborateur dans le monde du travail. Cela permet aux jeunes de croire en leurs rêves, en leur trajectoire et de cultiver leur persévérance. »

 

Et ça fait quoi de manager sa sœur jumelle ?

« Nous sommes très complices. Il y a beaucoup de confiance et d’exigence entre nous. Quand j’ai besoin de soutien, je me tourne vers elle. Et quand j’ai besoin d’être remise à ma place, elle s’en charge ! Un orchestre représente un système assez pyramidal. Mais nous essayons d’encourager les initiatives personnelles. Le travail d’équipe est très important. Nous essayons également développer la parité, l’égalité hommes-femmes, même si nous avons encore des efforts à faire… »

 

ARTICLE RÉDIGÉ PAR CÉCILE ROGER


 

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