« Et si ? »
Rencontre avec Patrice GEORGET, docteur en psychosociologie, Directeur de l'IAE Caen, intervenant Germe et défenseur d’un management fortement teinté d’humanité, dans lequel la remise en cause et l’ouverture d’esprit conduisent à la performance.
Comment être un meilleur manager ?
Patrice Georget : Pour tenter de répondre à cette question, il faut en premier lieu s’intéresser au fonctionnement de notre cerveau. Les récents travaux de recherche académique en psychologie notamment ceux de l’israélo-américain Daniel Kahnemam, psychologue et Prix Nobel d’économie, s’accordent pour établir que nos processus mentaux oscillent entre deux logiques, dites Système un (S1) et deux (S2). En S1, pour prendre cette image, le cerveau de l’être humain est en mode « pilotage automatique. » Il utilise ses savoir-faire et ses savoir-être intériorisés, fruit de ses apprentissages passés, de ses réflexes, de ses habitudes – bonnes ou mauvaises – de sa culture, avec tout ce qu’elle comporte de richesses, de connaissances, d’expériences, mais aussi de préjugés, d’idées reçues, de conditionnements, de stéréotypes. S2, en revanche, c’est l’univers du « contrôle exécutif. » Notre cerveau est en état de conscience, de discernement, de vigilance, de prise de recul, d’attention.
Quels comportements produisent ces deux modes de fonctionnement ?
Typiquement, le promeneur à vélo, le chirurgien qui opère, le boulanger qui fabrique son pain, mais aussi le manager qui anime sa réunion commerciale « comme il l’a toujours fait » sont en mode S1. Ils font « sans y penser », reproduisent des techniques apprises. Ce mode est très utile, très opérationnel. Il est aussi très économique en énergie. Il va nous aider à continuer d’agir même en cas de fatigue, de stress, d’urgence… Enfin il est intellectuellement très confortable : pas de remise en cause ni de prise de risque, pas de saut dans l’inconnu. Il procure du bien-être, protège notre intégrité. Mais c’est aussi le système qui pérennise les addictions, les tics de langage, celui qui nous fait persister dans l’erreur…
Et S2 ?
C’est le système de l’abandon des habitudes et de la déconstruction des fonctionnements réflexes. Il nous conduit par exemple à arrêter de fumer, en résistant à l’envie et au plaisir immédiat d’une cigarette pour faire prévaloir la « prise de conscience » des conséquences peu réjouissantes à long terme de la consommation de tabac. Mais il est très énergivore ! Il demande du temps et de la volonté. L’acteur Michel Galabru disait : « le courage, c’est de s’arrêter après la première cacahuète ! » Je crois que c’est une image qui parle à tout le monde ! (Rire)
S2 est donc très vertueux ?
Les deux systèmes sont indispensables. Savoir faire du vélo ou conduire une automobile est très utile ! Mais changer, se transformer, progresser, autant qu’évoluer, innover, créer suppose l’activation de S2. C’est LE mode de fonctionnement propre à l’homme, quand l’Intelligence Artificielle et S1 participent de la même dynamique : les automatismes, la reproduction des actions à l’identique, l’expérience accumulée. Seul S2 et sa dynamique de remise en question vont permettre à un manager, en gagnant en humanité, de grandir et de faire grandir son équipe, d’en tirer le meilleur. En ce sens, manager en humanité consiste à apprendre et à inhiber certains automatismes de système 1.
Comment parvenir à activer S2 pour inhiber S1 ?
Il existe deux méthodes efficaces : la métacognition et l’inoculation. La métacognition c’est la connaissance à propos de sa propre connaissance. Par exemple, le fait de savoir que soi-même on peut être pris dans un duel entre S1 et S2. C’est un principe de modestie à propos de soi. Je dresse la liste de mes comportements habituels et je me dis : Quels sont mes préjugés potentiels ? Et si j’en changeais ? Et si je distribuais les prises de parole différemment aujourd’hui ? Et si ce collaborateur qui ne dit rien en réunion n’était pas forcément quelqu’un qui n’a rien à dire ? La technique de l’inoculation, elle, consiste à injecter dans les esprits un vaccin psychologique contre leur robotisation !
Par exemple ?
Prenons la sécurité sur les sites de production, une problématique récurrente et difficile à résoudre, à laquelle sont confrontés les managers. Un groupe de travail pluridisciplinaire va imaginer quel est le comportement le plus efficace à adopter pour être sûr de se blesser ! Il soumet ses « recommandations » à un second groupe, qui va, « en réaction », être beaucoup plus pertinent sur les bonnes mesures à prendre et attitudes à éviter pour travailler en toute sécurité ! ! On est souvent plein d’arguments et d’imagination quand il s’agit d’être négatif. Passer par cette étape, livrer notre face obscure permet ensuite de responsabiliser sans stigmatiser !
Et quand vient l’heure des choix, qu’apporte S2 à notre libre arbitre ?
La plupart des dirigeants affirment que leurs grandes décisions ont été intuitives. Le système 2, celui du doute, du « et si ? », nourrit cette intuition profondément ancrée dans Système 1. Quand vous avez plusieurs fois parcouru le chemin des questions, des hypothèses, des expérimentations, des erreurs et de leur rectification, vous finissez par « sentir » quelle est la bonne décision à prendre…vous façonnez ainsi un « bon » système 1, mais cela présuppose en amont de toucher du doigt la remise en cause. Après, la notion de libre arbitre supposerait que l’on évoque aussi les notions d’illusion de la liberté et de la soumission librement consentie ! Mais c’est encore un autre débat ! (sourire)