Partir et revenir : manager à l'international 1/2

Soumis par agathe.renac le
Thématiques
Intelligence collective
Management de la diversité
Softs skills
Leadership
Transformation
Durée
20 minutes

Bienvenue sur la chaîne de podcasts GERME, La Graine inspirante. Manager sur sa terre natale ou ailleurs ? A l'occasion de l’Escale Guadeloupe, le podcast “La graine inspirante” de GERME donne la parole à 3 managers guadeloupéens adhérents. Dans cette première partie de podcast d'une série en 2 épisodes, nous parlons de management interculturel et de choix professionnels, de manager à l'international.

Pour écouter l'épisode 2 du podcast Partir et revenir c'est ici.

Dans cet épisode :

  • Qu'est-ce qui pousse un manager à partir ou revenir sur son territoire ?
  • Comment adapter son management dans un contexte interculturel ?
  • Que mettre en place dans un contexte hostile en tant que manager ?

Les interviewés :

  • Alain Bazir, Secrétaire général, IGUAVIE (interprofession viande et élevage)
  • Cindy Dahomay, Responsable du département QHSSE, CMA CGM (transport et fret)
  • Jimmy Loques, Directeur Commercial Régional, Karucash (commerce alimentaire)
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Alain, tu as 17 ans quand tu pars de Guadeloupe vers l'Hexagone pour te former en agronomie. Pourquoi partir ?

[Alain] Oui, je pars faire un cycle court à 17 ans car je veux nourrir la population dans le contexte de famine en Ethopie mise en avant dans la chanson caritative “We are the world”. Donc, je pars pour deux ans au départ, mais moi, je sais que je vais rester plus longtemps. On est en 1987, je sais qu'on peut produire plus de protéines avec de l'eau que sur terre. Donc, je me lance dans l'aquaculture. Après Nancy, Montpellier, je pars au Vietnam. À l’époque avec ma petite amie, on va être les deux premiers étudiants occidentaux à pouvoir travailler au Vietnam et c'est la fermeture de l'embargo.

C’est une question d’adaptation quand on part travailler à l’étranger ?

[Alain] J'ai dû m'adapter, à la langue, au fait que des fois, quand j'allais sur le terrain, il y avait des habitantes qui couraient parce qu'elles avaient peur que les Américains reviennent au Vietnam. Donc oui j’ai dû m’adapter. Je reviens du Vietnam et je soutiens mon DESS jusqu’au jour où je reçois un courrier du ministère des Affaires étrangères “Monsieur, vous avez été choisi pour être attaché scientifique à Boston”. Et moi, je voulais faire une thèse en Afrique de l'Ouest, l'objectif de ma vie mais ça a été Boston. Après les États-Unis, je reviens à Marseille. Je m'occupe du développement export de la première firme bio en agriculture d'Europe. Et une ONG à Marseille me dit... “On a besoin de ton expérience au Cambodge”.

Quel regard portais-tu sur ta Guadeloupe natale lors de tes expériences internationales ?

[Alain] Oui, toutes ces expériences le but ultime c'est gagner de l'expérience pour pouvoir rentrer en Guadeloupe et développer le pays. J’ai retrouvé des similitudes d'ailleurs au Cambodge avec mon territoire. Je retrouve les fruits, la relation avec les autres. Puis à 28 ans, je me dis “bon, là, il faut que je rentre”. Et le retour en Guadeloupe a été difficile.

Cindy, tu découvres Bourges après une prépa physique, chimie, maths. Par quoi a commencé ton rêve de carrière ?

[Cindy] Mon père est Guyanais et j'ai eu l'occasion de l’accompagner pour voir le décollage de la fusée. Je lui ai dit “je veux faire ça”. Il m'a dit “il faut être ingénieur”. Et donc, mon choix a été guidé par ça. Sauf que les écoles d'ingénieurs de l'époque, c'est la voie royale, mais je n'avais pas le niveau. Donc, je me suis dit, je vais regarder quelle école me permet de retourner dans l'aérospatiale. J'ai trouvé Bourges qui était une école de Risk management. Et le risque, on en trouve partout. Mon but c’est de me rapprocher d'un pas de tir de fusée en Floride.

Ton stage est prévu, sauf que ça ne se passe pas comme prévu. Comment tu vis ces revirements professionnels ?

[Cindy] Les attentats du 11 septembre 2001 changent mes projets et je me retrouve à Orly, aux Aéroports de Paris. À analyser des risques dans les galeries de bagages. Il y a toujours du bon dans tout. Ça m'a rapproché de la Guadeloupe, puisque je voyais des proches partir en vacances ou revenir. Et ça m'a fait découvrir le milieu aéroportuaire, qui est aussi très intéressant.

Quand j'ai eu mon diplôme, l'idée c'était de ne pas rester en France. Et donc, j'ai trouvé un volontaire international à Mayotte. J'atterris dans le BTP, à participer à la construction de lycées. C’est un milieu complètement nouveau, l’inverse de l'aérospatial. Ça a été une expérience géniale faite de vrais rapports humains. En comparant avec mes collègues qui ont fait l'aérospatial, tous ne sont pas restés. Ils étudient la pièce qui, dans 10 ans, va arriver à Mars et ne doit pas tomber en panne. Ce sont dans des milieux aseptisés à faire des calculs de fonctionnement de risque, alors que moi, c'était de l'humain, on construit avec Vinci des écoles, des réseaux, l'assainissement du territoire.

Ça représente quoi l’international pour toi Cindy ?

[Cindy] L'international, c'est la découverte de l'autre, c'est apprendre la diversité du monde et pouvoir aussi ramener chez soi des bonnes idées, des bonnes pratiques, une ouverture d'esprit.

J’ai été en poste à Mayotte et j’ai parlé à ma direction du fait que je voudrais quand même faire une expérience à l'international et on m’a proposé un poste en Martinique. Après 6 ans là-bas, je me dis “si je ne pars pas, je ne partirai plus”. Je contacte via mon réseau un collègue du groupe qui était au Qatar qui me rappelle et me dit “on cherche quelqu'un au Maroc, est-ce que ça vous intéresse ?” Je dis oui. La seule chose c’est qu’il faut que je démissionne parce que c'est la filiale Qatari, donc il faut un contrat Qatari. Je réfléchis, je me dis, on y va, c'est trois ans. Et là, je découvre un autre pays où, comme on dit, on a toujours des a priori. Et le fait d'y être allé, ça m'a fait encore une expérience extraordinaire. Ce n'est pas du tout ce qu'on croit. On a beaucoup de choses à apprendre. Déjà la diversité.

Tu as été confrontée à 17 cultures différentes. Comment on adapte son management à l'interculturel ?

[Cindy] Je me suis retrouvée avec une équipe de 17 nationalités. C’est arrivé que j’organise une réunion, et on dit le mot de trop sans savoir pourquoi, mais il n'y a rien qui fonctionne. Tout le monde est fâché. Par exemple, mon collègue grec, si on n'est pas rentré dans son bureau, lui serrer la main, lui dire comment ça va, il est contrarié. Mon assistante qui était algérienne, comme les Français disent tout le temps “merde”, ça la choque. Donc je me dis “OK, où est le nœud ?”.

J’ai eu la chance chez Vinci qui est un grand groupe d’être accompagné. J’ai eu des formations sur manager la diversité, management de l'humain. Et vu que là, on est dans une diversité réelle, ça fonctionne. Et au bout de trois ans, après un passage par Paris, retour particulier en Guadeloupe.

Jimmy, comment es-tu devenu acheteur en grande distribution ?

[Jimmy] Le bac en poche, je pars à Paris tenter STAPS, puis une spécialité en marketing. Je deviens ensuite commercial chez un grossiste en informatique, jusqu’à faire ce métier dont je n'avais jamais entendu parler. Je trouvais que mes interlocuteurs avaient quand même une vision à 360 dans l'entreprise, acheter les bons produits au bon moment, négocier… Un métier riche qui m'a plu.

Puis je reprends mes études pour un master de commerce et achats international. Et dans ce cadre, je devais faire une immersion à l'étranger. Je suis parti à Londres dans une société qui s'occupait de la relation pour Club Med avec les avances de voyage, vendre les destinations en Angleterre et en Scandinavie. Suite à ce stage, je suis en relation avec Dixon et je deviens chef de produit à Paris pour “PC City”. Donc retour en France, mais j'avais un contrat où la maison mère était en Angleterre, donc il y avait beaucoup d'allers-retours à Paris, Londres… Je m'installe avec ma compagne. Et en janvier 2012, ma compagne a perdu sa mère. Ça nous a fait un électrochoc, on se dit qu'il est temps de rentrer.

Que t’ont apporté ces années multiculturelles loin de ta terre d'origine ?

[Jimmy] On progresse, on apprend des choses, on voyage. Je me suis construit en tant qu'homme, puisque je suis parti pour les études, j'ai commencé à travailler et je suis devenu adulte là. Je gagne en crédibilité.

Je suis dans un grand groupe international anglais, je vois d'autres façons de travailler. J'engrange plein de choses. De l’expérience, de l'argent, des compétences. 

Tu courais après quelle légitimité à travers ces expériences ?

[Jimmy] Devenir quelqu'un, rendre fiers les parents, rendre fiers les investissements qu'ils ont faits. Parce que quand je suis parti faire mes études, j'ai aussi deux sœurs, donc parfois, on investissait sur moi plutôt que sur elles qui étaient encore en Guadeloupe, je me devais d’être à la hauteur.

Le fait d’être parti loin vous a donné une forme de crédibilité ?

[Alain] Oui, intérieurement, le fait d'être parti, ça nous donne de la confiance. On a vu que nos méthodes pouvaient marcher dans le multiculturalisme. J'arrivais à transmettre, à travailler avec les gens. Ce n'est pas seulement la langue qui fait que tu réussis. Les expériences à l'étranger, ça m’a donné de la confiance pour revenir chez moi.

[Cindy] J'aurais plus dit ça crée de l'agilité, mais la crédibilité, quand on revient, il faut encore la gagner. Ce n'est pas forcément inné.

Cindy, comment se passe ton retour choc en Guadeloupe ?

[Cindy] Je reviens et on me dit “tu es venue prendre ma place.” Sympa comme accueil. Je comprends qu'il y a un historique que je ne connais pas, mais que je vais subir. Parce que j'ai le poste de manager que d'autres ont rêvé. Comme je fais du QSE, quand je vais voir les gens pour parler des problématiques, je suis confrontée à "De quoi tu te mêles ? Tu es qui ?". Donc, beaucoup de frottements. On m'a même dit “Rayi chien, di dan'y blan”. En gros, tu es compétente, mais je ne t'aime pas quand même.

Mais ça m'a poussé à sortir de ma zone de confort. Je suis allée chercher d'autres outils et j’ai fait une formation sur la gestion du changement. C’est là que je prends conscience que c'est une création de poste. Donc, c'est un changement dans l'entreprise. Je ramène du QSE, qualité, sécurité, environnement. Donc, c'est un changement pour l'entreprise. Et moi, je viens d'ailleurs, je ne fonctionne pas comme tout le monde, je suis un changement. Donc triple peine. Et la courbe du changement, elle a été compliquée.

C’est parfois plus simple quand on vient de l’extérieur d’appliquer de nouveaux codes que quand on revient, où il faut réappliquer les codes de management de la diversité sur nos propres pairs.

Comment tu as vécu ton retour en tant que directeur de magasin Jimmy ?

[Jimmy] Ça m'est arrivé qu’un client demande à voir “le vrai patron” sous-entendant que je ne peux pas l'être à ses yeux. Ça, quand on entend ça les premières fois, on se dit « mince, qu'est-ce que j'ai loupé ? ». On se remet en question, d'où le syndrome de l'imposteur et le “je n'ai pas la légitimité d'être là, je n'ai pas la posture et le savoir-faire”. Finalement il m'a fallu apprendre à travailler et vivre en Guadeloupe, en tant qu'adulte parce que je suis parti directement de Guadeloupe après le bac. Je suis resté 18 ans là-bas. J'ai construit ma vie d'homme en dehors de l’île. Donc, je reviens, il faut apprendre les codes de notre société. Par exemple, le matin, si on passe dire bonjour et qu’on loupe une personne, elle va faire en sorte que la journée ne va pas bien se passer.

Alain, tu reviens en Guadeloupe à tes 28 ans et à ton retour tu es perçu comme jeune, inexpérimenté, froid.

[Alain] Ma première expérience en tant que directeur d'une coopérative de production de canne à sucre en Guadeloupe, c'est la réunion de travail que j'ai avec mon équipe. On me dit “Je ne comprends pas comment les administrateurs t'ont choisi, parce que tu es le seul qui ne nous a pas dit bonjour à l'entretien, tu n'as pas souris, les autres si. Et c'est pas ta spécialité la canne”. Je me dis qu'il va falloir que je m'adapte. Que le bonjour avec un sourire, comment ça va, c'est important et je l'avais peut-être oublié après 11 ans. Même dans la famille, la relation à l'autre est différente.

Que mettre en place dans un contexte hostile en tant que manager ?

[Alain] Je les ai accompagnés. On avait beaucoup de réunions d'animation, je les faisais toutes. Je ne comptais pas mes heures.  Mon objectif, c'est quand un salarié part le soir, il ne faut pas qu'il rentre chez lui avec les problèmes qu'il y a au bureau. Donc, j'essaie de créer cette atmosphère pour qu’il soit bien.

J'ai commencé par aller sur le terrain avec eux, montrer que moi aussi je pouvais faire comme eux. L'exemplarité, la rigueur et l’impact.

J’entendais “il est parfois plus difficile de manager avec ses semblables qu'avec des personnes de la diversité.”Pourquoi rentrer dans ce cas ?

[Cindy] Ça épuise, mais je me suis positionnée sur “Qu'est-ce que je veux. Je veux rentrer chez moi”. Donc, ça veut dire accepter la difficulté, ce challenge de faire avec mes pairs. Je me ressource avec la famille, les amis, la nature. Et la partie internationale aussi, c'est comprendre la richesse de notre pays. Dans tous les pays que j'ai fait,je n’en ai trouvé aucun qui remplacera ma Guadeloupe.

À retenir :

  • Les rebondissements professionnels peuvent révéler des talents
  • La confiance en soi et la légitimité acquises au fil des expériences internationales peuvent parfois être mises à mal par les différences culturelles lors d’un retour
  • Comprendre qu’on est soit même un changement peut aider à se mettre à la place de ses collaborateurs et à s'adapter
  • Animer ses équipes par des réunions régulières et savoir dire quand on ne sait pas instaurent une culture de proximité et sincérité

Merci beaucoup aux participants de ce plateau témoignage managérial en Guadeloupe. Restez connectés !

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