Bienvenue sur la chaîne de podcasts GERME, La Graine inspirante. Qu'est-ce qui pousse un manager à revenir en poste sur sa terre natale ? GERME a organisé l’événement l’Escale Guadeloupe et à cette occasion, donne la parole à 3 adhérents guadeloupéens dans ce second épisode d'une série de 2 podcasts.
Si vous n'avez pas encore écouté l'épisode 1 de Partir et Revenir, c'est ici !
Dans cet épisode :
- Comment partager sa vision et trouver sa place de manager à son retour ?
- Comment cultiver l’engagement de son équipe ?
Les interviewés :
- Jimmy Loques, Directeur Commercial Régional, Karucash (commerce alimentaire)
- Cindy Dahomay, Responsable du département QHSE, CMA CGM (transport et fret)
- Alain Bazir, Secrétaire général, IGUAVIE (Interprofession viande et élevage)
À quel moment vous vient le besoin de partager votre vision et vos valeurs à vos collaborateurs ?
[Jimmy] Quand on n'a plus le choix. Je me rappelle d'une expérience, j’arrive la veille du Covid et du confinement, sur un site ultra syndiqué. Il faut annoncer aux collaborateurs qu'on va passer en chômage partiel, qu'on est parti pour une période indéterminée et que je ne sais pas combien de temps ça va durer, que je suis au même niveau qu’eux et qu’il faut qu'on essaie d’être à l'écoute les uns des autres. Donc expliquer ça à des représentants du personnel qui sortaient d'une grève, c'était compliqué. Mais de toutes façon il fallait y aller.
[Alain] Sept jours après avoir pris mon poste, il y a eu un changement de président et la banque m’a appelé : « Monsieur, vous n'aurez finalement pas les crédits pour financer la campagne des planteurs. » Donc, j'allais me retrouver avec mille agriculteurs devant mon bureau. Tu as besoin des équipes pour y arriver. Et là, tu te dévoiles un peu plus. Je pense que la technique ne fait pas tout. Tu peux être un très bon technicien, mais tu n'es pas un bon manager. Moi, je ne connaissais rien à la canne et je ne suis pas un spécialiste de l’élevage Mais ce que je sais faire, c'est essayer d'embarquer les hommes et les femmes, les motiver, leur fixer des objectifs et qu'on y aille ensemble. Et c'est ça qui change. La plus belle histoire que j'ai, c'est quand j'ai revu le collègue qui m'avait dit « Tu ne dis pas bonjour, je ne comprends pas pourquoi on t'a choisi » . C'est quand son enfant m'a dit « Monsieur Bazir, je voulais vous dire merci le jour du départ, parce qu'avec vous, mes parents étaient géniaux » .
Y a-t-il une forme de redevabilité, de revenir sur votre territoire ?
[Cindy] Oui. Moi je me suis toujours dit que si je partais, je reviendrai un jour pour transmettre. La Guadeloupe m'a tout donné, donc c'est pouvoir donner à des jeunes cette richesse que j’ai eu. Ils n'auront pas forcément la possibilité de voyager mais au moins je peux partager mon expérience Ça me challenge puisque mon équipe, même si ce n'est pas facile, chaque fois qu'ils me disent merci parce qu'ils ont appris quelque chose ou qu'on a fait un projet ensemble, moi, ça me fait grandir.
Vous avez en commun la valeur travail. Comment est-ce que vous parvenez à la transmettre à votre équipe ? Y a-t-il eu des compromis ?
[Jimmy] On réussit à la transmettre par l'exemplarité. Ça passe par, je pense, deux choses :
- c'est d'être avec les équipes
- et on ne sait pas, on le dit
Mon mantra c’est “Je dis ce que je vais faire et je fais ce que je dis. Et je n'aurai jamais peur de vous dire que je ne sais pas.”
[Alain] Être sincère, c’est ne pas hésiter à montrer ses émotions parfois. C'est beaucoup d'humilité pour moi, de ne pas hésiter à dire « allons chercher la meilleure solution pour répondre à ce problème-là ensemble».
À votre retour, avez-vous perçu des différences entre manager en Guadeloupe et ailleurs ?
[Cindy] C'est vrai qu'en Guadeloupe, on est très dans l'humain et les collaborateurs ne vont pas faire parce que c'est leur contrat de travail et qu'ils ont une fiche de poste. Ils vont faire parce qu'ils t'aiment bien ou bien parce que c'est pour toi ou bien cette fois-ci, je fais ça pour toi. Et quand on arrive, nous, et qu'on a un fonctionnement, on est là pour travailler. On ne comprend pas pourquoi ça n'avance pas. Donc, on essaie de comprendre.
Merci GERME parce que j'ai rencontré des personnes comme Franck Garin, qui travaille sur la notion de travail dans la culture antillaise. Et on voit le poids de ce mot-là en Guadeloupe : travail. Il ne faut pas le dire. On comprend qu'il y a des choses à changer, et on s'adapte.
[Jimmy] Vous vous rappelez peut-être du 1er épisode où j'ai dit que j'avais jusqu'à récemment le syndrome de l'imposteur. Parce que je pense que je n'avais pas les codes pour entrer en relation avec mes semblables. On vient de métropole avec plein de connaissances, on se dit «on va tout révolutionner » . Et en fait, j'ai lu un livre, c'était Noir et manager de Patricia Braflan-Trobo. Ça m'a permis de comprendre des choses sur comment faire passer certains messages aux équipes. Typiquement, quand on est dans un métier de commerce, ce n'est pas parce qu'on va rendre service au client qu'on est dans de la servitude. En tous cas ça m’a aidé à décoder comment le passé peut influer dans notre rapport au travail.
[Alain] Ça me gêne un peu. Je me rappelle de mon expérience précédente, c'est ça. On me dit “On ne l'a jamais fait pour untel, on va le faire pour toi parce que tu es Guadeloupéen”. Je me rappelle avoir dit “Non, ne le faites pas plutôt. Parce que vous ne le faites pas pour moi, vous le faites pour l'entreprise, vous le faites pour vous, pour avancer.”
Un exemple de comment embarquer un collaborateur à son retour ?
[Mélanie] Je travaille avec une collègue qui est assez jeune, et j'essaye de lui expliquer qu'elle peut aller beaucoup plus loin de ce qu'elle produit aujourd'hui. Je rebondis sur l’exemplarité et j’irai même plus loin, ce qui m’a permis de l’embarquer, c'est de lui permettre d'accéder à des choses auxquelles moi j'ai accès et dont elle n'a pas accès. Je lui ai proposé de faire un petit déjeuner de travail qui nous a permis de parler d'autres choses dans un contexte moins formel. Je pense qu'elle avait aussi ce syndrome de l'imposteur, lui dire ses capacités je pense que ça l’a aidé.
Être en proximité, sans tomber dans l'intimité, je pense que ça peut aider nos collègues à se rapprocher de cette valeur travail.
Avez-vous déjà eu l’envie de repartir une fois revenu ?
[Cindy] Alors non, je suis bien où je suis, mais on m'a souvent demandé ”Avec tout ton parcours, est-ce que tu ne vas pas t'ennuyer en Guadeloupe ?”. Et j'ai toujours répondu que mon métier rêvé, c'est d'être basée en Guadeloupe et d'aller faire des missions de temps en temps à l'étranger. Rayonner et surtout se nourrir de l'autre, ne pas rester seule à se regarder le nombril. Même en étant dans ma boîte, d'aller visiter une autre boîte ou parler avec des collègues qui sont dans un autre domaine, ça enrichit.
[Jimmy] C'est dur quand on rentre, on se dit qu'on va revenir pour être dans la transmission, pour essayer d'amener ce qu'on a appris à l'étranger, et de voir qu'on n'est pas accepté. On se dit, mince, finalement, je n'avais pas ces problèmes-là à Paris ou ailleurs. Ça m'a mis 3-4 ans quand même à décoder comment manager ses semblables. Maintenant, je suis content et je ne pense pas repartir.
[Alain] Je décide de repartir pour 6 ans aux États-Unis, alors que tout allait bien. Mais c'est un choix personnel et familial. Et aussi parce que j'avais une petite frustration. Ma première expérience aux États-Unis, c'était deux ans, mais je travaillais pour l'ambassade de France. J'étais attaché scientifique, mais je n'avais pas bossé vraiment avec des Américains. Donc je repars à zéro, je sors de ma zone de confort et je vais faire de la grande distribution, moi qui étais plus dans l'agronomie.
Alain, on te propose un poste en Guadeloupe. Comment as-tu dû revoir ton management à ton retour ?
[Alain] Il faut savoir que je bossais pour Wall Food, 6e au palmarès des entreprises où les gens veulent travailler aux États-Unis. Et le choix que je fais, je reviens en Guadeloupe à une seule condition, c'est que j'ai un boulot qui me permette de sortir de Guadeloupe tous les trois mois. Le retour, c'est sûr que je suis revenu très confiant, un peu américanisé. Et rapidement, je suis reparti sur les vraies bases, l'approche humaine et tout ça. Et j’ai intégré GERME quatre mois après.
Revenir en Guadeloupe après une carrière internationale, c’est une question d’engagement ?
[Cindy] Moi, la Guadeloupe m'a tout donné. Mais on est dans une société violente de par son histoire, de par ses problématiques. Et ramener un peu d'amour, ramener un peu de communication non-violente, c'est important, pour faire grandir son territoire. Et ce que je fais dans l'entreprise, j'essaie aussi d'être exemplaire à l'extérieur pour que ça puisse influencer mes pairs, pour qu'on puisse avancer ensemble.
[Alain] Déjà, le choix de revenir, je pense que c'est déjà un engagement. Dans le domaine où je suis, je pense que le sens de ce que je fais, ça a un impact sur la vie de mes concitoyens. Et ça, c'est important pour moi, sinon j'aurais arrêté. L’idée c'est aussi d'essayer de changer les choses. Je veux changer le regard des gens sur la Guadeloupe. Je veux changer le regard des Guadeloupéens sur eux-mêmes et je veux que les Guadeloupéens mangent des produits produits en Guadeloupe. Tous les jours, on fait des petits pas.
[Jimmy] L'engagement, c'est de la transmission. Essayer d'être dans des organisations où on va dépassionner., qu'elles soient d’entreprises ou associatives ou sportives. Être dépassionné parce qu'on est, comme dit Cindy, dans une société où on aborde beaucoup de sujets, beaucoup de problématiques dans la confrontation. Alors que parfois, on n'a pas besoin d'être dans la confrontation, il faut juste qu'on pose les bonnes problématiques, qu'on se dise les choses de manière franche sans être dans la confrontation. Dépasser ses émotions, dépassionner les débats.
En 2018, j'ai rencontré GERME et j'ai beaucoup appris sur moi. Ça m'a permis de me faire confiance, de comprendre qui j'étais. Comme je vous ai dit tout à l'heure, aujourd'hui, je n'ai pas honte de dire “je n'ai pas la réponse, je reviendrai vers vous”. C'était une chose quasi impossible pour moi avant. Je pense que j'ai gagné en confiance en moi.
Après être partis puis revenus sur votre territoire, que ressentez-vous ?
[Alain] D'être content d'être revenu parce que, définitivement, je pense que c'est le meilleur pays pour élever des enfants. Et ça, c'est important pour moi. Je suis marié à une Américaine et souvent, elle me dit “tu es bien gentil avec tes principes mais ça ne te donne pas plus à manger que ça”. C'est sûr que si tu es aux États-Unis, tu vas gagner peut-être plus d'argent. Mais c'est aussi l'envie de transmettre à nos compatriotes et de grandir ici.
[Jimmy] j'hésite entre deux mots, accomplissement et épanouissement. Accomplissement parce que je vis dans un pays magnifique. Quand je suis parti en 96, je me suis dit que je n'allais pas rester plus de 3-4 ans au final. Je suis resté 18 ans. Donc j'accomplis peut-être mon devoir de revenir chez moi. Épanouissement parce que je pense que je suis devenu crédible, au fil des galères ou des baffes du début de la non acceptation. Avec du recul, je suis content de les avoir vécu parce que finalement je pense pas que j'aurais été l'homme que je suis aujourd'hui.
[Cindy]Le sentiment d'authenticité et d'ancrage d'être rentré. Parce qu'on a besoin de grandir dans ce pays là et d’aligner nos valeurs avec les autres. Il faut aussi protéger notre île. Ici plus qu’ailleurs, c’est une expérimentation d ce qui va se passer dans le monde en accéléré donc il faut montrer l'exemple.
À l'atelier de tout à l'heure, une intervenant disait qu'elle est allée au Rwanda, où il y a eu le génocide et une phrase m’a marqué « Si tu me connaissais, tu ne m'aurais pas fait ça » . Si on se connaît, on se respecte. C'est exactement ça.
À retenir :
- Quand on revient dans son pays natal, ce qui peut aider c’est une période d’observation pour se réapproprier les codes locaux
- La volonté de transmettre est souvent là une fois revenu, toutefois adopter une posture d’humilité et d’exemplarité peut générer de la confiance
- Continuer à s’inspirer des autres entreprises, pays, collègues même une fois revenu
Merci beaucoup aux participants de ce plateau témoignage managérial en Guadeloupe. Restez connectés !
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